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Fou du cochon

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L’amie du saucisson

L’amie du saucisson

Un entretien avec Nathalie Joannette, fondatrice de Fou du cochon.

Un entretien avec Nathalie Joannette, fondatrice de Fou du cochon.

Raphaël Daudelin

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Photo : Gabrielle Sykes

En 2005, trois ans après avoir quitté Montréal pour s’installer dans le Kamouraska, Nathalie Joannette et Samuel Gaudet fondent Fou du cochon. Raphaël Daudelin s’est assis avec Nathalie, l’amie du saucisson.

Photo : Jean-Daniel Lessard

Raphaël Daudelin : On pourrait parler de « l’aventure du saucisson » ?

Nathalie Joannette : Ça a commencé par hasard. On habitait à Montréal. Sam travaillait comme cuisinier, moi comme intervenante sociale. On étouffait en ville et j’avais besoin de voir l’horizon. On a décidé de déménager dans le Kamouraska.

Quand on ne travaillait pas, c’était le chômage, et le chômage, ça donne le temps de réfléchir. On s’est dit qu’on pourrait bien créer notre propre affaire. On était jeunes, ouverts à tout.

Un soir, avec un couple d’amis belges, on jouait aux cartes, on buvait de la bière… Un des deux a fait remarquer qu’il n’y avait pas de bons saucissons secs au Québec et il avait raison ! Saucisson, ce sera !

RD : Et quand on n’a jamais fait de saucissons de sa vie… ?

NJ : Sans tradition sur laquelle s’appuyer, on lit beaucoup, on expérimente dans son sous-sol.

RD : Le bio, la flore indigène, éviter les nitrites, vous le saviez dès le début ?

NJ : Absolument ! On n’avait pas beaucoup de sous, mais on achetait bio autant que possible. Les charcuteries avaient vraiment mauvaise presse, les nitrites étaient devenus l’ennemi public numéro un. On s’en sert pour contrer le botulisme et pour avoir de beaux jambons roses. Un jambon blanc, ça ne s’appelle pas comme ça pour rien. Sans nitrite, il est blanc gris. C’est bon, mais c’est moins sexy !

Au début, on les donnait aux amis, il nous fallait des cobayes. Ça n’a pas été long que nos cobayes voulaient les acheter ! On est devenus des smugglers de saucissons…

Nathalie Joannette, Maître Charcutière

© Fou du cochon

RD : Les difficultés que ça implique, vous en étiez conscients ?

NJ : Jamais de la vie ! Un saucisson nitrité, ça se garde sur ta banquette arrière en plein été. Nos saucissons, c’est le sel de mer qui les conserve. C’est plus fragile, plus de travail aussi. L’emballage par exemple, ça a pris trois ans pour trouver le papier qui permettrait aux charcuteries de respirer adéquatement pour préserver leur flore.

RD : Et tous ces saucissons que vous fabriquiez dans votre sous-sol ?

NJ : Au début, on les donnait aux amis, il nous fallait des cobayes. Ça n’a pas été long que nos cobayes voulaient les acheter ! On est devenus des smugglers de saucissons… 

RD : Vous avez dû manquer d’espace !

NJ : Oui ! Charles Marois et sa femme Madeleine, des éleveurs bio, avaient une petite boucherie attenante à leur ferme. Ils ouvraient la boucherie seulement quelques jours par semaine. On leur a proposé de la squatter les jours inoccupés, ils ont accepté. 

Jochen et Denise de la boulangerie Niemand nous ont suggéré de faire de la prévente, c’était le Kickstarter de l’époque. Installés devant leur boulangerie, on proposait nos bons d’achat à leurs clients.

Les gens du coin et les touristes entendaient parler de nous et tout s’est mis à marcher trop vite. Au point où Charles nous a dit que ça ne pouvait plus continuer. Avec raison : quand la boucherie était fermée, des clients sonnaient chez lui à 10 heures le soir pour acheter un bâton ou des grelots.

© Fou du cochon

Travailler avec un produit qui pousse à deux pas de chez nous s’inscrit dans la plus pure tradition française.

Nathalie Joannette, Maître Charcutière

RD : Puis vous déménagez à nouveau.

NJ : Oui, à l’automne 2005, on s’est installés à l’Incubateur bioalimentaire de La Pocatière, où on est toujours. Un an plus tard, on distribuait nos charcuteries en boutique. On a soumis notre candidature au Concours québécois en entrepreneuriat et remporté le premier prix dans la catégorie bioalimentaire, et le prix de l’Office franco-québécois pour la jeunesse qui nous a permis de faire un séjour en Corse — haut-lieu du saucisson — pour parfaire nos connaissances.

RD : Un séjour efficace ?

NJ : Très efficace et qui nous confirme que notre saucisson est de tradition française. Cette tradition-là, c’est le respect du produit, un minimum d’assaisonnement et d’intervention. Ça confirme aussi qu’on est sur la bonne voie avec notre flore indigène. 

La tradition américaine est forte sur l’assaisonnement. Ça ne m’intéresse pas de faire du saucisson buffalo ranch, pas plus que du chorizo. Nos assaisonnements sont funky pour les Français parce qu’on travaille avec des ingrédients méconnus en France comme la livèche écossaise. Toutefois, travailler avec un produit qui pousse à deux pas de chez nous s’inscrit dans la plus pure tradition française.

Photo : Jean-Daniel Lessard

RD : Et après 2006 ?

NJ : Si dès le départ, on reçoit une réponse favorable, on arrive un jour à un point où les choses commencent à stagner. Conscients que nos produits ne sont pas donnés, on se dit qu’à plus grande échelle, les gens ne sont peut-être pas prêts pour le bio. On doit faire quelque chose pour assurer la survie de l’entreprise. Alors on crée une autre gamme.

RD : Les Sipousses ? 

NJ : Oui ! Ils nous ont permis de poursuivre nos activités, autrement on serait morts. On avait le savoir-faire, l’infrastructure et la flore, il fallait trouver un moyen de faire du saucisson à moindre coût. On a remplacé le porc bio par du porc conventionnel, les pièces nobles par de la parure (retailles). En général au Québec, on fait du saucisson avec la parure, ce qui est très rare en France, où on utilise plutôt le noble (épaule, jambon, longe, etc.). La différence entre un saucisson et une saucisse séchée n’est pas définie clairement, mais on observe chez les charcutiers français que la saucisse sèche est souvent faite à partir de viande de coche (qui provient des femelles reproductrices destinées à être abattues). Chez FDC, le noble sert au saucisson et la parure à la saucisse séchée.

RD : Ça a fonctionné ?

NJ : Vraiment ! L’idée de la gamme, c’était de collaborer avec d’autres artisans et mettre en valeur les régions du Québec. On ne souhaitait pas vraiment que les gens fassent le lien entre les deux entités. Aujourd’hui, Sipousse est plus connu que FDC. La notoriété de l’un profite à l’autre, mais l’échange va dans les deux sens : depuis cette année (2021), les Sipousses sont sous régie biologique. On a pris un long détour, mais on revient à notre idéal de départ. C’est une très grande fierté !

RD : Et les saucissons ont été récompensés…

NJ : … au concours Saucicréor, le Concours International du Meilleur Saucisson. En 2011, on participe une première fois en soumettant le Sipousse à la bière noire pour lequel on reçoit le coup de cœur de la présidente du jury. En 2018, on s’inscrit à nouveau avec le Grelot des battures et le Sipousse à la luzerne qui remportent les médailles d’or et d’argent dans la catégorie Créativité et originalité. Finalement, le Grelot des battures obtient un des quatre Saucissons d’or, coup de cœur du jury toutes catégories confondues. 

Photo : Gabrielle Sykes

RD : Depuis 2017, tu es l’unique propriétaire de Fou du cochon.

NJ : Sam et moi, on s’entendait de moins en moins sur l’avenir de l’entreprise. Sam était à l’aise avec la taille qu’elle avait atteinte, alors que j’avais plein d’idées pour continuer à la faire grandir. Je n’ai jamais rêvé d’en faire une multinationale, mais je sais qu’il y a encore beaucoup à faire pour atteindre mes idéaux. 

RD : C’est-à-dire ?

NJ : Arriver à exprimer avec justesse notre terroir à travers notre allégeance à la tradition française. La provenance des intrants qui, à terme, je le souhaite, seront tous locaux et biologiques. 

Ensuite, contribuer à changer l’image qu’on a des régions. On dit trop que Montréal est le souffle économique du Québec. Mais il s’en passe, des belles choses en région. FDC participe comme d’autres entreprises à contrer l’exode des jeunes vers la ville en offrant un environnement et des conditions de travail de qualité. On assiste en ce moment à un renversement de cette tendance-là et c’est une bonne nouvelle. Que les régions soient en santé, c’est bon pour tout le monde !

Ce qui me tient vraiment à cœur, c’est notre capacité à innover. Je fais beaucoup de recherche et de développement pour créer de nouveaux produits, mais c’est encore un peu prématuré d’en parler… 

RD : Et l’avenir ?

NJ : Le projet qui m’occupe en ce moment, c’est la construction de la ferme. On va élever nos porcs, avoir une boutique, retrouver un contact direct avec nos clients, avoir une cuisine, un resto, faire de la production maraîchère. Un gros changement !

RD : Un autre déménagement donc ?

NJ : Oui, et c’est ce qui m’effraie le plus parce qu’il faut qu’on déménage la flore avec nous. Mais je le dis souvent, elle est résiliente, elle va nous suivre !

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